DEUXIÈME SONATE POUR VIOLON ET PIANO EN MI MINEUR OPUS 108

1re édition: 2020-01-08
revue et corrigé:

DEUXIÈME SONATE POUR VIOLON ET PIANO EN MI MINEUR OPUS 108

Le 9 août 1916, il s'installe à Evian, et dès le 16 il mande à son épouse: "Je travaille paisiblement à ce qui sera enfin (du moins je le voudrais bien !) une seconde Sonate." Le 24 septembre, il peut lui annoncer: "Hier, j'ai terminé le premier morceau de la Sonate. Le Finale est avancé de plus de la moitié." Quant à l'Andante, à peine ébauché à Evian, il sera terminé à Paris durant l'hiver 1916-1917, de même que le Finale. Avant de quitter Evian, le 27 septembre, Fauré avait annoncé son intention de dédier la Sonate à S.M. Elisabeth, Reine des Belges, ajoutant : "Elle est violoniste, et tu sais la sympathie qu'elle témoigne à mes œuvres." Postérieure de quarante ans à la Sonate en la, la Sonate en mi en retrouve comme par miracle l'élan juvénile, mais s'accompagnant d'une puissance et d'une profondeur décuplées. Il s'agit de l'une des plus parfaites réussites de Fauré, et l'on discutera longtemps encore quant à savoir s'il faut lui décerner la palme au sein de toute sa musique de chambre, ou si cet honneur doit revenir au Deuxième Quintette. Dans les deux cas, le Finale est entièrement à la hauteur des autres morceaux, et peut-être même constitue-t-il l'apogée de notre Sonate!

I. ALLEGRO NON TROPPO (9/8, puis 12/8, mi mineur).

D'emblée, le rythme marqué des basses du piano, avec ses syncopes et ses valeurs redoublées (croche-noire-croche-croche-noire-noire) imprime à ce morceau son impulsion virile. Et son climat tout entier sera de noble emportement" de fierté passionnée, d'ardeur véhémente, aux antipodes des salons douillets où l'on veut enfermer ce génie altier. Bientôt apparaît au violon un important thème mélodique, aux équivoques enharmoniques fauréennes, modulant par séquences de tierces ascendantes. Le violon est un oiseau des tempêtes, blanche et fine mouette aux muscles d'acier, planant librement et radieusement au-dessus de la houle du piano. Parfois apparaît, à la crête des vagues, l'ourlet d'écume d'une imitation faisant écho au chant de l'oiseau. Connaît-on dans la musique plus admirable marine sonore que ce paysage ensoleillé, balayé de rudes et salutaires rafales? Le véritable second thème en sol majeur, beaucoup plus calme, s'appuie sur les rythmes syncopés (croche-noire) du piano, qui cimentent l'unité de tout le morceau. L'impérieux rythme initial donne le signal du développement. Une légère accalmie ramène le second thème en mi majeur, mais le rythme tout-puissant reprend possession des basses, et en une puissante montée, au cours de laquelle on passe insensiblement du 9/8 au 12/8, la réexposition (entièrement à 12/8) est atteinte: Elle est suivie encore d'un important développement terminal, au terme duquel le rythme primordial conclut en force, et en mi majeur.

Schéma formel: exposition mes. 1-56; développement mes. 57-146; réexposition mes. 147-193; coda (développement terminal) mes. 194-227. Le développement est plutôt une vaste contre-exposition (l'ordre des thèmes est le même!).

II. ANDANTE (3/4, la majeur).

Ce mouvement est tiré en partie de l'Andante de la Symphonie détruite de 1884, dont il va sublimer et transfigurer la matière. Après le tonique déploiement de puissance du premier temps, Fauré nous propose ici l'une de ses méditations les rlus précieuses et les plus rares. D'une profondeur insondable, que son absolue limpidité tend à faire oublier elle nous élève sans effort vers ces lieux bénis où tout n'est plus que paix et qu'harmonie contemplation sereine et lucide du haut d'une maturité durement conquise. Mozart et Schubert, à la fin de leur vie, ont su pareillement atteindre à cette sagesse où l'expérience ultime semble tendre la main à l'enfance intacte. Dès la seconde mesure, le violon chante la douce mélodie, reposant sur de subtiles équivoques enharmoniques, et tout le morceau sera un nouveau triomphe de l'instabilité tonale fauréenne. Cette instabilité, loin de susciter l'inquiétude, nous libère des attaches de la pesanteur, et rayonne le même pouvoir bienfaisant qu'un Ricercar chromatique du vieux Frescobaldi, ce Fauré du XVIIe siècle. Repris par le piano, le thème fait ensuite l'objet d'un dialogue canonique des deux instruments. La seconde idée, plus douloureuse peut-être, s'appuie sur cette appoggiature supérieure de la tierce, cette quarte augmentée si fréquente chez le dernier Fauré, et qui signifie toujours l'aspiration indicible vers en-haut ("le désir de choses inexistantes"). Le premier thème rentre au piano, harmonisé plus subtilement encore qu'auparavant, puis c'est le second thème qui est repris. Toute la fin mêle les deux idées en un ample développement terminal polyphonique (canons, imitations), introduit par la réapparition de la mélodie initiale, qui se glisse discrètement sous les doigts de la main gauche du pianiste. Le premier thème s'unit aux quartes augmentées (incises) du second. Enfin, au cours d'une longue coda apaisée, le violon descend progressivement dans le registre grave, pour conclure dans le repos de la majeur.

Schéma formel: A mes. 1-23; B mes. 24-63 ; A mes 64-81 ; B mes. 82-93; A + B (developpement terminal et coda) mes. 94-129.

III. FINALE " ALLEGRO NON TROPPO (2/2, mi majeur)

La joie lumineuse de ce Finale, surpassant encore celle du Finale du 1er Quintette, sa limpidité radieuse, sa magistrale tension contrapuntique, tout concourt à en faire l'apogée de la Sonate et, sans doute, le plus beau Finale fauréen. La forme, assez complexe, participe à la fois de la Sonate et du Rondo, selon un type structurel que nous rencontrerons de plus en plus fréquemment chez le Fauré tardif. Dans la clarté de mi majeur, le thème principal chante gracieusement au violon, dans le souple balancement de ses syncopes, dont la ferme assurance exclut toute brutalité. Le second thème, en si majeur, clame une joie exultante. Son saut d'octave suivi de l'appogiature inférieure souligne son appartenance à la grande famille des thèmes associès au personnage sublime de Pénélope. Mais très vite, les syncopes du thème principal s'installent à nouveau dans l'accompagnement pianistique, avant de s'affirmer au violon. Le troisième thème apparaît alors au piano, truffé de modulations et d'enharmonies, avec ses deux éléments complémentaires, dont le second est le plus important. Les trois thèmes reviennent ensuite dans le même ordre, en une sorte de contre-exposition variée ou de libre développement. Aussi la troisième apparition du thème initial, à présent traité en canon, prend-elle la valeur psychologique et structurelle d'une réexposition. mais après le retour de la seconde idée, la troisième ne sera pas reprise. A sa place interviennent d'importants rappels cycliques du premier mouvement, introduits dans la trame du Finale, dont jamais le flot régulier ne se trouve perturbé, avec une subtilité dont les musiciens de la Schola n'offrent guère d'exemple. Ce sont d'abord les rythmes croche-noire-croche-croche-noire-croche du début de la Sonate qui s'annoncent dans le grave du piano, puis au violon. Et ces syncopes rudes se mêlent sans effort aux syncopes douces du thème du Finale. Ensuite, le thème du premier temps chante au violon, dans la douce béatitude de mi majeur. Et voici la conclusion magistrale: la dernière rentrée du thème principal mêlée à la tête du second thème, qui s'affirme bientôt tout entier au violon, puis une ultime progression sur le thème principal, qui s'efface cependant pour laisser la tête d'Ex. 36 conclure seule, en un éclat de gloire véritablement triomphal. Que de joie!...

Schéma formel: "exposition" mes. 1-75 (thèmes 1,2,3); "contre-exposition" ou développement mes. 76-167 (thèmes 1, 2, 3); réexposition mes. 168-191 (thèmes " 2); rappels cycliques du 1er mouvement mes. 192-228; développement terminal (thèmes 1 et 2) mes. 230-269.

Bruxelles, juin 1970.
Harry HALBREICH

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MARUYAMA Satosi