PREMIÈRE SONATE POUR VIOLON ET PIANO EN LA MAJEUR OPUS 13

1re édition: 2020-01-08
revue et corrigé:

PREMIÈRE SONATE POUR VIOLON ET PIANO EN LA MAJEUR OPUS 13

Cette Sonate en la majeur fut rédigée en grande partie durant l'été de 1875 qui fut pour Fauré une période heureuse entre toutes. L' œuvre reflète ce bonheur, et il est à remarquer que des dix oeuvres de musique de chambre de Fauré, c'est la seule dont la tonalité principale soit majeure. On a peine à croire à l'accueil réticent, voire négatif, fait à cette Sonate aujourd'hui si populaire. Pour citer Vuillermoz, "on se demande aujourd'hui comment les mélomanes de 1876 ont pu résister à tant de fraîcheur, d'allégresse, d'ardeur communicative, de vie palpitante, de volupté auriculaire, et méconnaître un aussi séduisant chef-d' oeuvre". Au début, Camille Saint-Saëns fut presque seul à la défendre, écrivant dans le Journal de la Musique du 22 mai 1877 : "C'est l'œuvre d'un nouveau champion, le plus redoutable peut-être de tous, car il allie à une science musicale profonde une grande abondance mélodique et une sorte de naïveté inconsciente qui est la plus irrésistible des forces. On trouve dans cette Sonate tout ce qui peut séduire, la nouveauté des formes, la recherche des modulations, des sonorités curieuses, l'emploi des rythmes les plus imprévus; sur tout cela plane un charme qui enveloppe l'œuvre entière et fait accepter à la foule des auditeurs ordinaires, comme choses toutes naturelles, les hardiesses les plus imprévues". Cette appréciation si clairvoyante, qui cerne en quelques mots les constantes du génie fauréen, ne s'étendit pas alors à la "foule des auditeurs ordinaires", ni même aux éditeurs de musique. Aucun d'entre eux ne voulut publier la Sonate, que Fauré finit par faire paraître en Allemagne, chez Breitkopf et Härtel, mais sans en tirer le moindre profit financier. La première audition publique eut lieu le 5 juillet 1878 aux Concerts de Musique de Chambre du Trocadéro, dans le cadre de l'Exposition universelle, avec le violoniste Maurin et le compositeur lui-même au piano, mais elle n'eut pas un grand retentissement. La Sonate, dédiée à Paul Viardot (fils de Pauline et frère de Marianne) a pris depuis l'éclatante revanche que l'on sait. Antérieure de dix ans à la fameuse Sonate (dans le même ton!) de César Franck, elle venait sans aucun doute trop tôt dans le contexte de la vie musicale française de l'époque. Fauré est déjà tout entier dans cette partition radieuse et ardente, malgré la présence bien compréhensible d'influences curieusement contradictoires: Schumann, et sa flamme romantique y coexiste avec Saint-Saëns dont Fauré assouplit et éclaire d'un sourire la prestigieuse élégance formelle. La Sonate comporte les quatre mouvements traditionnels, assez amplement développés.

I. ALLEGRO MOLTO (la majeur)

D'une verve passionnelle bouillonnante, d'une expression chaleureuse et directe, c'est le morceau le plus schumannien de Fauré, et ce dès l'exposé du premier thème au piano seul (Ex. 1), avec ses syncopes caractéristiques. Il s'oriente vers ut dièze mineur, mais l'entrée du violon avec un conséquent mélodique rétablit le ton principal. Le second thème, très chantant (Ex. 2) module par séquences ascendantes typiquement fauréennes et ne cherche pas à faire contraste avec le précédent. Cette exposition très concise est suivie d'un développement plus vaste, débutant par un canon des deux instruments et travaillant surtout le premier thème. Un passage en merveilleuses modulations, au rythme rapide et insaisissable des proclamation jubilante de la seconde idée, modifiée, puis une accalmie mène réexpoisition (les deux instruments présentent le thème initial en octaves), suivie encore dune brève coda sur ce premier thème.

Schéma formel: exposition mes. 1-99; développement mes. 100-267 ; réexposition mes. 268-384; coda mes. 385-409,

II ANDANTE (9/8, re mineur)

Cette douce rêverie, d'une pureté sereine, adopte le rythme berceur d'une espèce de barcarolle. Plutôt qu'un Lied à cinq compartiments, suggéré par certains auteurs nous y voyons à nouveau un modèle accompli de forme-sonate. Le premier thème (Ex. 3) dialogue aux de instruments, qui échangent leurs rôles respectifs au bout de huit mesures. D'une expression élégiaque plutôt qu'endeuillée, il mène à une seconde idée au relatif fa majeur (Ex. 4), dont la structure en séquences ascendantes et la tension affective qui en résulte rappellent le second thème du morceau précédent. Le développement, amplification mélodique du thème initial, débute en la mineur, et par un jeu de modulations riche et hardi s'élève en une gradation passionnelle de plus en plus ardente et tourmentée, que souligne l'agitation agogique. La réexposition présente e premier thème (imperceptiblement modifié) en si bémol majeur et le second, gonflé de passion romantique, en ré majeur. Une belle coda sereine et contemplative nous découvre Dour la première fois les vastes horizons du Fauré ariégeois.

Schéma formel: exposition mes. 1-49; développement mes. 50-83; réexposition mes. 84-115; coda mes. 116- 125.

III. SCHERZO : ALLEGRO VIVO (2/8, la majeur).

D'une verve malicieuse et d'une agilité impalpable, ce morceau d'une virtuosité éblouissante a été comparé par Emile Vuillermoz aux "ébats enivrés de deux papillons qui se pourchassent au-dessus d'une prairie ensoleillée". Spiccati du violon, traits ailés du piano dialoguent en un tourbillon léger dont l'irrégularité des périodes accroît le caprice. Le Scherzo proprement dit adopte lui-même une coupe ternaire, avec, en gui.se d'intermède, une idée lyrique chaleureuse en ré bémol majeur. Le Trio propose une mélodie schumannienne en fa dièze mineur, dont le souple 3/4 se superpose à la continuation des agiles doubles-croches du piano. Une spirituelle transition en staccato et en pizzicati, richement modulante, prépare par allusions au dialogue violon piano au ralenti à la reprise du scherzo.

Schéma formel: Scherzo mes. 1-132; Trio mes. 133-206; Scherzo mes. 207-363.

IV. FINALE: ALLEGRO QUASI PRESTO (6/8, la majeur).

L'image graphique et l'indication de tempo sont trompeuses : le premier thème adopte une allure détendue et modérée, presque nonchalante. Mais, la musique ne tarde pas à s'animer en un crescendo fiévreusement syncopé, d'un influx irrésistible, préparant à l'entrée de la seconde idée en fa dièze mineur, dune expression passionnée et un peu brahmsienne, exposée au violon en octaves. Il y a encore un troisième élément, chantant et langoureux, d'une volupté toute schumannienne. Un retour du thème initiai prépare le développement qui ne s'en écartera guère tout en introduisant le contraste rythmique d'épisodes en 2/4, au violon (au ton de la sixte napolitaine, si bémol), puis au piano. La réexposition présente le premier thème en ut majeur et le second en la mineur, et l'on admirera la logique de ce plan tonal qui réserve le ton principal de la majeur pour la dernière affirmation du premier thème dans la coda, amenée avec une aisance et un naturel parfaits. Cette conclusion, brillante sans ostentation, vigoureuse sans vaine insistance, révèle en Fauré l'artiste de race, le vrai classique. Sans atteindre à la profondeur ou à l'intensité des œuvres de maturité, la Sonate en la séduira toujours par la plus irremplaçable des vertus: la jeunesse. Écrite par un artiste de trente ans, elle respire tout l'enivrement de l'adolescence amoureuse.

Schéma formel : exposition mes. 1-124; développement mes. 125-208; réexposition mes. 209-328; coda mes. 329-377.

Bruxelles, juin 1970.
Harry HALBREICH

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MARUYAMA Satosi