TRIO POUR PIANO, VIOLON ET VIOLONCELLE EN RÉ MINEUR OPUS 120

1re édition: 2020-01-07
revue et corrigé:

TRIO POUR PIANO, VIOLON ET VIOLONCELLE EN RÉ MINEUR OPUS 120

Les dernières années de Fauré furent assombries dans une mesure croissante par les infirmités, mais aussi par une pénible gêne matérielle. C'est pour pallier quelques peu à cette dernière que son fidèle ami Maillot, son hôte d'Annecy-le-Vieux durant les trois derniers étés de son existence, organisa un grand concert de ses œuvres à la Sorbonne, le 20 juin 1922. Les pouvoirs publics s'associèrent après coup à cette manifestation. Mais les premiers mois de 1922 ne virent naître aucune œuvre nouvelle, et le Trio que son éditeur Durand lui avait suggéré d'écrire en resta à quelques esquisses qui ne satisfaisaient guère Fauré. Celui-ci souffrait cruellement de l'usure de son corps, contrastant si vivement avec sa jeunesse de cœur et d'esprit. D'où cette exclamation pathétique, datée de Nice, le 2 février: "Je vais bien. On me trouve très bonne mine. Mais dans la rue j'ai l'air d'un très vieux monsieur qui ne peut avancer qu'à pas lents, lents, lents! Au diable la vieillesse! Que ne peut-on s'acheter des poumons neufs et des jambes neuves quand ça devient nécessaire!".

Ce que ni Nice, ni Argelès n'avaient pu accomplir, la paix d'Annecy-le-Vieux va le rendre possible : le 5 septembre, Fauré annonce: "Je me suis enfin remis à travailler!", et le 26, il précise: "J'ai entrepris un Trio pour clarinette (ou violon), violoncelle et piano. Un morceau important de ce Trio, commencé ici il y a un mois, est terminé". Il s'agit de l'Andantino, cependant que les deux mouvements Vifs furent composés à Paris dans le courant de l'hiver 1922-1923. La création en public eut lieu à Paris en juin 1923 par les soins du Trio Cortot-Thibaud-Casals. A l'issue de cette audition, Fauré regagna .Annecy-le-Vieux, où il reçut quelques jours plus tard la lettre suivante de la Reine Elisabeth de Belgiq1ue, dédicataire, rappelons-le, de la Sonate Opus 108 : "Cher maître, j'ai entendu votre beau trio qui m'a causé une profonde émotion. Cette œuvre est si grande et pleine de charme poétique et j'ai été enveloppée inexprimable délice qui se dégage de vos compositions. Combien j' ai regretté que vous ne soyez pas à cote de moi a ce moment! Les artistes qui ont si bien interprété votre Trio m'ont rejoué "ma Sonate", dont la dédicace du grand et cher maître m'est si précieuse".

Les biographes de Fauré ne semblent généralement pas partager l'enthousiasme clairvoyant de la Reine, et même Vuillermoz se montre étrangement réticent. Claude Rostan s'interroge : "Il règne dans ce Trio tant de réserve, tant de retenue, que l'on peut un moment se demander s'il a vraiment la puissance des autres œuvres dernières. Cela est probable". Cela est certain, n'hésiterons-nous pas à affirmer! En sa clarté limpide, en sa radieuse perfection linéaire, le Trio n'est pas un moindre chef-d'œuvre que les pages de musique de chambre qui l'entourent. A coté du, Trio de Ravel, c'est la plus parfaite réussite du genre dans la musique du XXe siècle . Il est curieux que l'édition imprimée ne fasse plus aucune allusion à l'alternative entre clarinette et violon, d'abord prévue par l'auteur. Mais il vaudrait à tout le moins la peine de l'essayer une fois sous cette forme insolite, qui ne pourrait qu'accroître ses séductions!

I. ALLEGRO MA NO TROPPO (3/4, ré mineur).

C'est une forme-sonate toute classique (avec deux développements), dont l'allure s'apparente assez bien à celle du premier temps de la précédente Sonate pour Violoncelle Opus 117, et dont l'inspiration est également d'essence avant tout mélodique. L'absence d'altérations donne à l'harmonie une teinte modale dortenne typiquement fauréenne, et souligne le détachement serein, loin de toute passion terrestre, de l'expression. Le thème initial chante au violoncelle. Amplifié par le violon, Il fait rapidement place à une seconde idée, en si bémol, confiée au piano. Reprise par les archets en fa majeur, elle s'adjoint un motif complémentaire issu du bref "pont" qui avait servi à l'introduire. Ce développement débute par le premier thème dans le grave du piano, quelque peu élaboré. Puis ce sont les deux éléments du second thème qui sont soumis à un travail contrapuntique, se combinant passagèrement avec le premier. Un grand crescendo modulant par tons ascendants aboutit à la réexposition, qui débute sous une gamme descendante du violon, en octaves fortissimo. Une vigoureuse coda sur cette fin conclut en force, affirmant la couleur modale du morceau par son insistance sur la sensible abaissée..

Schéma formel: exposition mes. 1-106; développement mes. 107-210; réexposition mes. 211-274; développement terminal mes. 275-318; coda mes. 319-342.

II. ANDANTINO (4 / 4, fa majeur).

Il domine l'œuvre par l'ampleur de ses dimensions et surtout par l'élévation sublime de son inspiration. Il repose essentiellement sur le thème que chante le violon. Le violoncelle lui répond, et il se développe en une grande phrase de douze mesures qui en déploie toutes les richesses de charme, de tendresse et de poésie. Mais voici que le piano présente une idée subsidiaire d'un pathétique indicible. Par quatre fois, elle tente d'échapper à la fatalité de ré mineur, mais les sortilèges les plus envoûtants de l'harmonie fauréenne s'avèrent impuissants: " Now my charms are all o'erthrown" , comme dit le vieux magicien Prospero à la fin de La Tempête! Et Fauré revient à son premier thème, mais nullement de manière littérale. Le milieu du morceau est occupé par une étonnante mélodie syncopée du piano, insaisissable et privée de toute pesanteur, ne s'appuyant véritablement sur rien. Elle fait l'objet ensuite d'une grande montée par tons, à laquelle se joint bientôt l'idée initiale au piano, et qui aboutit à la réexposition complète, cette idée dans le fa majeur originel. L'épisode subsidiaire est repris lui aussi, en fa mineur, suivi d'un nouveau et très intense crescendo modulant (anticipant, durant deux mesures, sur l'Andante du Quatuor à Cordes. Lorsque le second thème reparaît, le premier lui fait immédiatement écho au piano, annonçant ainsi son ultime retour pour la coda, longue et sereine affirmation de fa majeur, dont la vigoureuse insistance tonale a quelque chose de brucknérien.

Schéma formel:A mes. 1-33; B mes. 34-67; A mes. 68-107; coda (B, puis A) mes. 108-136.

III. FINALE: ALLEGRO VIVO (3/8, ré mineur).

Fort bref, il a le tempo et l'allure d'un Scherzo, mais son esprit, infiniment plus complexe, serait plutôt celui d'une humoresque dont la douleur ne serait pas absente. Quel sens attribuer à l'appel dramatique du début, qui reproduit fidèlement, aux archets, l'exclamation fameuse "Ris donc, Paillasse!"?... On sait l'animosité que Fauré nourrissait envers les produits du vérisme, mais la citation ne saurait être fortuite. Faut-il y voir l'amertume de l'acteur tirant sa révérence au moment de mourir, un "Finita la commedia" désabusé, ou au contraire un défi au sort, au temps, à la vieillesse? La suite du morceau, qui se terminera dans l'allégresse coutumière, semble donner raison à cette dernière hypothèse. Quoi qu'il en soit, à cet appel répond immédiatement le piano, qui amorce le futur thème principal. Le dialogue se poursuit, formant introduction (le cas est exceptionnel chez Fauré), et le thème principal ne démarre qu'au bout de soixante mesures, en ré mineur et au violoncelle. Le second thème comporte deux éléments, l'un aux cordes, dérivé du rythme anapestique dont il propose le reversement mélodique, l'autre au piano, de caractère insouciant et léger. Après un dialogue de ces deux motifs, le développement débute par une élaboration canonique du thème principal, pour se poursuivre par un retour du second thème, puis par une nouvelle manifestation du premier, exposé en canon à la seconde en strette (à distance d'une mesure). Après diverses manifestations des différentes idées, y compris "Paillasse", dont le rôle est important, une brève allusion au thème principal précède la réexposition régulière du second groupe, en ré majeur. Le premier thème intervient ensuite, mais varié dans sa présentation. Enfin s'amorce une vaste gradation sur "Paillasse". La coda voit le triomphe de "Paillasse", qui rit à présent de bon coeur. Tous ces éléments de cette pièce subtile et complexe en dépit de sa brièveté sont finalement consanguins.

Schéma formel: introduction mes. 1-60; exposition mes. 61-153; développement mes. 154-267; réexposition (inversant l'ordre des thèmes) mes. 268-354; coda mes. 355-417.

Bruxelles, juin 1970
Harry HALBREICH

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MARUYAMA Satosi