PREMIER QUATUOR POUR PIANO ET CORDES EN UT MINEUR OPUS 15

1re édition: 2020-01-07
revue et corrigé:

PREMIER QUATUOR POUR PIANO ET CORDES EN UT MINEUR OPUS 15

Cette, oeuvre marque un mûrissement artistique et affectif considérable. Sa mâle beauté se pare de couleurs plus sombres, et si l'agilité de l'écriture et l'élan juvéniles demeurent, Ils vont de pair avec une vigueur et une puissance toutes nouvelles. Fauré composa ce Quatuor en 1879, à nouveau en grande partie chez ses amis Clerc à SainteAdresse. Depuis l'achèvement de la Sonate, plusieurs changements importants étaient survenus. dans son existence, et la rupture brutale et unilatérale de ses fiançailles avec Marianne Viardot l'avait vivement éprouvé. D'autre part, deux voyages en Allemagne lui avalent permis d'assister à des représentations de la Tétralogie de Wagner. Dédié au grand violiniste liégeois Hubert Léonard, ce Quatuor fut créé à la Société Nationale le 14 février 1880. Il est exactement contemporain du Quintette de César Franck: la renaissance de la musique française franchissait alors des étapes décisives.

Emile Vuillermoz a su admirablement définir les mérites de l'écriture instrumentale des Quatuors et Quintettes avec Piano de Fauré, qui appartiennent à un genre difficile, où les réussites sont rares. Mais Vuillermoz explique: « La flexibilité de leur écriture pianistique est prodigieuse. Enveloppés par les arpèges, les accords et les traits insinuants du clavier, les archets tissent à l'aise leur trame serrée et homogène, que le piano incruste de perles de cristal. Fauré obtient ainsi une étoffe d'une richesse et d'une somptuosité rares ». Nous sommes en effet frappés par le contraste existant entre l'agilité adamantine du clavier et l'écriture des cordes tassée dans le médium grave, à l'unisson ou en accords serrés. La surdité ne fera qu'accroître cette tendance, qu'elle n'a donc point provoquée, mais qui est inhérente à l'inspiration fauréenne. L'Opus 15 comporte à nouveau les quatre morceaux traditionnels, de durée sensiblement équivalente ici, grâce au développement inhabituel du Scherzo L'admirable fermeté, la sobre puissance des Allegros liminaires se devine déjà d'apres le caractère des thèmes, qui comptent au nombre des plus beaux et des plus mémorables de Fauré. Ne cherchons point ailleurs la raison de la faveur dont jouit cet ouvrage, l'un des plus directs et des plus accessibles de son auteur.

I. ALLEGRO MOLTO MODERATO (3/4, ut mineur)

Le thème principal au nùble profil modal (avec sa sensible abaissée) démarre sans préalable et nous Impose son rythme vigoureux et sobre de vieille Courante française. Son deuxième exposé se faait plus souple, plus insinuant, grâce aux contre-chants chromatIql!es de l'alto et du violoncelle Un pont aux harmonies magiques et lumineuses, Introduit le second thème au relatif majeur de structure séquentlle comme beaucoup de seconds thèmes fauréens, et basé comme le précédent sur une cellule d'une seule mesure au rythme caractéristique. Le retour du premier theme en mi bemol modal conclut l'exposition. La vaste développment se consacre presqu'entierement a la araphrase de ce premier theme, dont il revele les visages les plus varies, modulant par tierces ascendantes en un jeu de moirures lumineuses. vincent d'Indy saura se souvenir de ce passage dans le premier mouvement. de sa Symphnie Cevenole! Fauré développe ensuite la forme renversée (au miroir) de sop theme, et la second idée vient se joindre passagèrement à la trame contrapuntique, au milieu exact du morceau, lieu ideal la synthèse de ses deux themes! Une breve strette, d'une écriture déjà magistrale, mene par une puissante gradation a la réexposition , qui se fait en force. une grande coda sur la theme initial se meurt et un diminuendo paisible et discret.

II. SCHERZO: ALLEGRO VIVO, (6/8, mi bemol majeur)

Cette page d'une verve éblouissante, avec son Trio d'une exquise finesse, s'ecarte de la forme habituelle, amplifiée dans le sens d'un Rondo (ABACA, dont C serait le Trio). Un motif spirituel de trois mesures apparalt au piano (Ex. 11 a), les archets le reprennent varié dans son rhthme (Ex. 11 b), cependant que la tonalite oscille sans cesse entre mi bémol et le relatif ut mineur. Emile Vuillermoz, parlant de cette musique qui fait paraître patauds les elfes de Mendels:ohn, évoque « le rythm.e aérien des. battements d'ailes d'un vol de libellules ». ene sorte de paraphrase lyrique ou de libre développement (section B) préoède la reprise du début. Alors seulement intervient le Trio, en si bémol majeur, avec une phrase caressante aux chaudes et voluptueuses harmonies en position très serrée dans le medium des cordes munies de sourdines. Cependant, le volètement des croches du piano se poursuit, se communiquant aux archets pendant les césures entre les périodes. Une dernière reprise du Scherzo termine le morceau.

Schéma formel: A mes. 1-79; B mes. 80-141; A mes. 142-221; C (Trio) mes. 222-383 ; A mes. 384-460.

III. ADAGIO (2/4, ut mineur)

On a voulu rattacher cette pièce admirable, d'une mélancolie profondément émouvante, au deuil sentimental de Fauré, mais sa réserve naturelle, sa pudeur artistique rendent cette hypothèse peu probable. Le poignant premier thème est basé sur la répétition et l'amplification d'un motif d'une mesure. A la neuvième mesure nous entendons pour la première fois les harmonies serrées qui prêtent une intensité si bouleversante à l'expression du Fauré tardif. Après une éclaircie illusoire et passagère au ton de la sixte napolitaine (ré bémol) la musique retombe en toute simplicité dans l'accablement du début. La consolation viendra du second thème chantant en la bémol majeur sur un accompagnement doucement balancé au piano (2 + 3), et présentant une parenté organique avec le premier. Cne grande amplification lyrique aux enchaînements de septièmes très schumanniens s'élève jusqu'à un forie passionné suivi de la reprise du premIer élément. La coda rêve doucement sur le souvenir' attristé du second thème, délicatement suggéré par le piano.

Schéma formel: A mes. 1-26 ; B mes. 27-65 ; A mes. 66-92 ; coda (B) mes. 93-105.

IV. FINALE: ALLEGRO MOLTO (3/4, ut mineur)

Cette ardente et juvénile chevauchee couronne dignement l'ouvrage, et sa réussite égale celle du premier morceau, qu'elle rappelle d emblec par les rythmes pointés de son thème initial. Un passage violemmet martele aux breves reliques saccadées entre piano et cordes est suivi d'un element lyrique de structure sequentielle faisant office de pont et s elevant vers mi bemol majeur. A l'issue d'un crescendo passionné sur le thème initial, la seconde idee chantante et sereine fait son entrée, s'amplihant en une success d'accords de septieme tres schumannienne. Le développement commence par un long épisode de caractere hesltant sur la transition martelée. Puis, c'est une merveilleuse amplification modulante du second thème, dont la chute de quatre s'elargit en quinte, ce qui accuse encore sa ressemblance avec Schumann. Partis de mi mineur, nous touchons a insi les tonalités les plus variées. Le premier thème se faufile subrepticement à la main gauche du pianiste, soutenant la puissante gradation a scendante menant à la réexposition. Celle-ci est modifiée: après le « pont», saccade, la musique s'arrête sur un point d'orgue, suivi d'une petite cadence du piano. Puis elle repart, legere, Insouciante, lumineuse enchaînant librement les dominates, la reprise du deuxième thème se glissant dans la trame poursuivant le développe- ment du premier en une sorte d'amplification conclusive. On passe en ut majeur pour la coda, qui superpose contrapuntiquement les deux thèmes. Enfin le premier reste seul maître du terrain, dominant de son profil fièrement ascendant l 'euphorique péroraison, toute de vigueur et d'enthousiasme chaleureux.

Schéma formel: exposition mes. 1-149; développement mes. 150-269; réexposition mes, 270-378 ; coda mes. 379-451.

Bruxelles, juin 1970.
Harry HALBREICH

Chambre de Marinkyo > Chambre de Fauré > Harry Halbreich > PREMIER QUATUOR POUR PIANO ET CORDES EN UT MINEUR OPUS 15


MARUYAMA Satosi