QUATUOR A CORDES EN MI MINEUR OPUS 121

1re édition: 2020-01-07
revue et corrigé:

QUATUOR A CORDES EN MI MINEUR OPUS 121

Dans L'Horizon Chimérique, puis dans le Treizième Nocturne Fauré abandonnant la blancheur des cimes déjà atteintes, a laissé parler une dernière fois sa très humaine nostalgie de l'inaccessible jeunesse, n'aboutissant plus qu'à l'amertume des « grands départs inassouvis », des vaisseaux « aimés en pure perte ». A présent, en ce début de 1923, il ne manque plus à l'accomplissement de la courbe créatrice fauréenne que la clef de voûte du genre suprême de la musique de chambre : le Quatuor à Cordes. Il l'a évité sa vie durant, en proie à une sorte de crainte respectueuse, de complexe vis-à-vis de l'écrasant précédent beethovénien: attitude toute semblable à celle de Brahms un demi-siècle plus tôt, ou encore à celle de César Franck, n'écrivant son unique Quatuor qu'à l'extrême fin de sa vie.

Et voici qu'à l'approche de ses quatre-vingts ans, le Quatuor à Cordes demeure le seul genre important de la musique de chambre encore absent de son catalogue .

Le 23 juillet 1923, il écrit à sa femme: « J'essaie de travailler, j'écris quelques notes par-ci, par-là, espérant que quelque chose finira par en sortir: Dieu. table ou cuvette! Mais j'ai l'esprit très engourdi, je ne suis plus bon à grand-chose! ». Le 1er août: « J'écris ,chaque jour un peu de musique, très peu, il est vrai. Et comme il m'est arrivé maintes fois, je ne sais pas encore quelle destination auront ces premiers tâtonnements ». Enfin, le 9 septembre, il lève le voile, et l'extraordinaire d ocumen que voici reflète toutes ses appréhensions:

« J'ai entrepris un Quatuor pour instruments à cordes, sans piano. C'est un genre que Beethoven a particulièrement illustré, ce qui fait que tous ceux qui ne sont pa Beethoven en ont la frousse 1 Saint-Saëns en a eu peur toujours et ne s'y est essayé que vers la fin de sa vie. Il n'y a pas réussi comme dans d'autres genres de composition. Alors tu peux penser si j'ai peur à mon tour, Je n'en ai parlé à personne. Je n'en dirai rien tant que je ne serai pas près du but, près de la fin. Quand on me demande: « Travaillez-vous? » je répond effrontément: non ! Alors, garde cela pour toi ». Cependant, le 13 septembre, Il peut annoncier: « Hier Soir, j'ai mis le point final au premier morceau du Quatuor dont Je t'ai parle dans ma dernière lettre ». Ce premier morceau écrit est en réalité le sublime Andante. Rentre à Paris, Fauré rédige le premier mouvement dans le derniers mois de 1923, reprenant les thèmes de son juvénile Concerto pour violon de 1878 (Opus 14), jamais orchestré, renié et détruit. Seule les dernière me ure demeurent en suspens. Son souci de préserver le secret est tel qu'il n'inscrit sur la chemise contenant le manuscrit que les mots « Annecy-le-Vieux »! Suivent de longs mois de faiblesse et de maladie. Le 20 juin 1924. il quitte Pari pour la dernière fois, et se rend tout d'abord à Divonne. Mais s'est le 18 juillet seulement qu'il peut écrire a sa femme: « J'ai enfin recommencé à travailler, mai j'ose à peine le dire! ». Le 24, M. Maillot vient le chercher en voiture pour remmener " Annecy-le-Vieux e! c'est là, durant ,ce dernier été savoyard, que le léger Finale va voir le jour, Le 20 août, il annonce : J'espère enfin mener mon Quatuor jusqu'au bout ». Le 9 septembre, Il précise:

« Pour mon travail, je puis dire qu'il touche à sa fin, Avec le morceau que je termine, ce Quatuor se suffirait; il serait comme mon Trio en trois parties; mais comme je ne suis pas pressé de e présenter au public, peut-être y intercalerai-je une quatrième partie ». Le 12 septembre: « J'ai. terminé hier soir ce Finale, Voilà donc le Quatuor terminé, à moins qu'il ne me vienne une quatrième petite partie qui pourrait prendre place entre a première et la seconde ».

Le Quatuor, dédié à Camile Bellaigue, fut joué et édité en 1925. S'il ne possède pas la somptueuse richesse, l'ampleur grandiose du Second Quintette, il atteint à une profondeur et à une intensité peut-être encore supérieures.

I. ALLEGRO MODERATO (2 / 2, mi mineur).

C'est une libre forme-sonate, très concise, d'une écriture très linéaire, d'un caractère austère, d'une allure grave et soutenue exprimant avec grandeur un sentiment de plénitude mélancolique. Le premier thème comporte , deux éléments : une interrogation ascendante anxieuse en son aspiration et une réponse, mélodique a la fois souriante et résignée. Le second thème, très lumineux, est l'une des plus belles idées mélodiques de Fauré à la fois tendre et virile, ardente et grave. Plus que jamais, Fauré atténue les contrastes entre ses, thèmes. A cette exposition simple et brève succède un développement qui accentue la sévérité polyphonique de l'idée initiale, coupée seulement de quelques apparitions des autres éléments. La réexposition est « camouflée » en son début de sorte que seule sa réponse mélodique apparaît à découvert. Le développement terminal élabore cette réponse qui ne tarde pas a atteindre la clarté de mi majeur. La paisible conclusion restaure l'idée initiale, qui termine pianissimo.

Schéma- formel: exposition mes. 1-59; développement mes. 60-102; réexposition mes. 103-154; développement terminal mes. 155-187 . coda mes. 188-206.

II. ANDANTE (4 / 4, la mineur).

Cette longue et sublime plainte est le sommet de l'ouvrage. L'harmonie fauréenne , avec ses subtilités enharmoniques et ses modula ion imperceptibles, y déploie une dernière fois tous ses sortilèges. La forme, assez complexe, participe du Lied et du Rondo, mais son schéma, qui pourra paraître d'un morcellement excessif, rend bien mal compte de l'unité et du souffle admirable de l'inspiration. Le premier thème s'élève de l'accablement vers la consolation et comporte en sa troisième mesure cette quarte augmentée ascendante (mi bémol-la) qui toujours chez Fauré exprime l'aspiration vers l'ineffable. Une idée secondaire lui, succède rapidement, simple mélodie d'alto doucement accompagnée par des batteries de croches et reprise au violon, Intervient alors un thème nouveau qui reprend certains éléments au thème précédent (notamment la quarte augmentée !), tout en formant une mélodie autonome. Il fait l'objet d'une première grande progression ascendante, passionnément tendue, mais qui retombe pour faire place au troisième thème principal dont les intervalles étroits rendent tangible la douleur étouffée de la vieillesse. La rentrée du thème initial déclenche un important développement, passionné et de plus en plus intense. A nouveau un decrescendo ramène la troisième idée suivie bientôt de la seconde, Le dernier retour du premier thème donne le signal d'une sorte de développement terminal, nouvelle vague passionnelle, au ssi brûlante que la première, mais dont ce thème est à présent seul à nourrir la gradation. C'est encore lui qui domine la coda en la majeur, aux dissonances étranges et envoûtante, comme d'un sourire embué de larmes.

Schéma formel: A mes. 1-15 ; M mes. 16-23; A' mes. 24-47 ; C mes. 48-67 ; développement: A puis A' mes. 68-105 ; C mes. 106-115 ; B mes. 116-122 ; deuxième développement (A) mes. 123-1,52 ; coda (A) mes. 153-161.

III. FINALE: ALLEGRO (4/4, mi mineur).

Claude Rostand fait remarquer avec raison que l'enjouement voulu par le compositeur se transforme par moments en un sentiment d'angoisse un peu haletante. Fauré n'a pas cherché à poursuivre l'expression bouleversante, la blancheur douloureuse des morceaux précédents, mais ce Finale en égale la valeur grâce à l'incomparable qualité de son écriture. De dimensions assez importantes, il fait alterner ses divers éléments à la manière d'un Rondo,et cependant l'analyse fait apparaître un plan de forme-sonate, avec un seul développement, mais de vastes proportions. Le thème principal chante au violoncelle, avec un accompagnement en pizzicati au rythme obstiné, accentuant les temps faibles. Il est suivi immédiatement d'un important conséquent en deux élément aux modulations séquentielles ascendantes faisant fi de toute pesanteur. Le second de ces éléments repose essentiellement sur l'aspiration ascensionnelle de quarte augmentée, établissant ainsi le lien avec l'Andante. Le véritable second thème avec son accompagnement de croches, possède un caractère de tension presque douloureuse. Ces divers éléments alternent ensuite au cours d'un grand développement. Le mode majeur s'installe paisiblement, presqu'à notre insu bien avant la réexposition. Un motif obstiné de triolets s'épanouit pour finir en' une coda enthousiaste d'un éclat presqu'orchestral.

Schéma- formel: exposition mes. 1-58; développement mes. 59-190; réexposition mes. 191-255; coda mes. 256-312.

Bruxelles, juin 1970
Harry HALBREICH

Chambre de Marinkyo > Chambre de Fauré > Harry Halbreich > QUATUOR A CORDES EN MI MINEUR OPUS 121


MARUYAMA Satosi