Au nombre de treize comme les Nocturnes, elles accompagnèrent elles aussi Fauré durant sa longue existence comme une sorte de contrepoint plus animé et plus leger aux Nocturnes. Elles sont généralement plus courtes, moins élaborées, moins profondes d'expression, mais on trouve parmi elles quelques-uns des plus précieux joyaux de la muse fauréenne. De plus, le genre lui-même est idéalement adapté au caractère propre du génie de Fauré. Son nom à lui seul évoque des tableaux de Venise, de nuits d'amour baignées de lune, du doux frémissement des eaux. La fluidité du langage harmonique, rythmique et instrumental de Fauré - sa ressemblance la plus frappante avec Chopin - son don particulier du clair obscur, n'en font-ils pas un musicien prédestiné de l'Eau? ...
Les quatre premières Barcarolles forment un groupe homogène. Elles voguent sur des lacs sereins, sur de calmes lagunes, et non point sur des mers agitées comme certaines des suivantes. Elles révèlent les traits charmeurs et gracieux du jeune Fauré, et n'atteignent pas encore à la magie évocatrice de leurs cadettes. Ainsi, la Première Barcarolle , en la mineur, apparentée au Premier Impromptu (qui ressemble luimême à une Barcarolle!) ne quitte guère le doux balancement de son début, bien qu'elle soit bâtie sur trois thèmes différents (dont le troisième fait office de Trio). La Seconde Barcarolle, en Sol majeur, construite sur un plan semblable, est cependant plus animée et plus riche de contrastes. Mais elle n'égale pas la qualité d'inspiration de la précédente, pas plus que la gracieuse et chopinesque Troisième, en Sol bémol majeur. Ces deux pièces semblent même un peu longues pour la minceur de leur contenu, reproche fort peu fréquent chez Fauré. Tout en retournant déli bérément (et pour la dernière fois dans sa musique de Piano) au charme spontané de sa « première manière », Fauré, dans sa Quatrième Barcarolle, en La bémol majeur, nous offre une page à la fois plus concise et plus spontanément inspirée que les précédentes, avec ses oppositions charmantes de 3/4 et de 6/8. Premier chefd' oeuvre authentique de la série, la Cinquième Barcarolle, en fa dièse mineur, occupe une place un peu comparable à celle du Sixième Nocturne, écrit l'année précédente. Fauré y fait hardiment voile vers le grand large, dont la houle puissante soulève le morceau tout entier, rehaussée par l'âpre et tonique saveur des embruns salés. La Sixième Barcarolle, en Mi bémol majeur, tout en retrouvant les eaux plus calmes des premières, révèle déjà la fermeté et la sobriété d'écriture caractéristiques du dernier Fauré, et ceci est encore plus vrai de la Septième, en ré mineur, page brève et énigmatique, étrangement sombre et agitée, non dépourvue d'angoisse. et qui ouvre dignement sa « troisième » période. Après une entrée en matière légère et animée, la Huitième Barcarolle, en Ré bémol majeur, touche des sentiments plus profonds, mais sa conclusion inopinément vigourelLe la distingue e toutes ses devancières. La Neuvième et la Dixième sont toutes deux en la mineur, mai la poétique évocation vénitienne, pleine de nostalgie et de charme subtil de la Neuvième s'oppose à l'austère grisaille de la Dixième, sans doute la plus énigmatique des treize. La Onzième Barcarolle, en sol mineur, atteint à un niveau d'abrration presque métaphyique : c'est une noble stylisation de l'élément liquide, dont tout élément pittoresque a désormais disparu. Après le fugitif rayon de oleil de la Douzième Barcarolle. en Mi bémol majeur, dont le charme souriant semble presque une évocation du Fauré d'antan, la série termine par la parfaite épure de la Treizième, dans la tonalité « blanche » d'Ut majeur. Se sonorité rares et sublimée semblent ne plus appartenir a ce monde: elle évoquent plutôt les rives paisible de l'au-delà ...
Harry HALBREICH
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